Plus que jamais, l’autopsie est devenue pour nous une nécessité. A mesure que les techniques évoluent et que nous avons du biologique une représentation toujours plus précise, nos yeux se rivent sur le détail, et c’est la vue d’ensemble qui nous fait défaut.

La rétine plaquée sur un microscope embué, nous réduisons le cosmos à l’aperçu partiel que veut bien nous en donner cet étroit hublot.

Les lentilles se superposent, et la plus infime des particules nous semble être une montagne, tandis que le réel, que nous occupons et qui nous entoure de sa densité écrasante, passe inaperçu…tout est effet d’optique.

Il nous faut décoller nos yeux de ce filtre, rétablir la perspective et la profondeur…en somme, nous devons hiérarchiser le réel.

La tâche est ardue, qui nous mène à une vue claire et dégagée sur le monde. Nous devons, avant tout, déceler et distinguer tous ces voiles qui nous séparent de l’objet de notre attention…les soulever un à un, les écarter d’une main vigoureuse et déterminée, pour enfin voir dans son éclatante vérité la ridicule insignifiance de ce que nous appelions monde.

Ce n’est qu’alors que, sonnés encore de notre fraîche découverte, ivres de ses promesses, nous percevrons que nous avons ce corps… un corps qui, de la fleur de son extrémité aux abysses de son épaisseur, est fourmillement de perceptions.

Pris d’une folle audace, nous saisirons cet outil que nous pensions être notre seule ouverture sur le monde, et comme un enfant se dégage du ventre maternel, nous nous extirperons des griffes du monstre dans un vagissement libérateur.

Il faudra du temps à nos yeux, habitués à l’obscurité de leur refuge calfeutré, pour supporter la lumière crue du vrai.

Mais une fois débarrassés des reliques de notre trop longue infirmité, nous serons enfin prêts à pratiquer une autopsie de notre milieu : nous aurons enfin déchiré de notre regard acéré la chair épaisse qui nous faisait obstacle : le cœur sera là, palpitant, rutilant.

En un mot : débarrassons-nous des médias. Exit le vacarme permanent qu’hurlent à longueur de journée les haut-parleurs du nouveau dogme,  les images qui couvrent les murs de nos maisons, nouvelles bannières d’une société sans étendard… brûlons nos télévisions, ces lèvres toujours agitées de la parole d’un Big Brother plus bavard que jamais, canaux d’abondance qui déversent dans nos foyers le flot ininterrompu de la logorrhée politiquement correcte.

Restons fièrement nus : dépouillés des oripeaux de notre pseudo démocratie, de notre prétendue liberté, de l’égalité dont on se gargarise à loisir…laissons sur le bas-côté ces atroces vêtements dont on a voulu nous déguiser pour animer de nos grimaces mécaniques un nouveau spectacle de guignol.

Passons un  plumeau alerte sur notre corps empoussiéré de décennies de propagande, découvrons sa vraie couleur, le sang qui l’irrigue et l’anime.

L’autopsie, c’est tout cela à la fois : de grands yeux qui s’écarquillent tout à coup et déchirent de leur béance le tissu du réel, deux paupières qui évacuent de leurs rides les humeurs malsaines d’un sommeil trop long.